Cela fait maintenant plus de cinq jours que j'ai franchi la ligne d'arrivée de The Traka 360K. Cette semaine a eu son lot de rebondissements avec le report de mon départ trois fois de suite.
Après l'annulation de The Traka Adventure 560K, il a été assez difficile de se remobiliser et de se remotiver pour le format 360 km. Même si je savais que je pouvais y performer, venir, se préparer physiquement et mentalement pour un type de course bien spécifique et devoir finalement opter pour un autre est assez perturbant, voire démoralisant.
C'est dans ces moments que l'on a besoin d'être soutenu, de retrouver confiance et de se dire que, oui, on peut le faire ! En effet, il y a bien pire dans la vie que de participer à l'un des plus beaux événements gravel internationaux, sur des chemins de rêve pour la pratique.
J-1 : Retrait des dossards
La veille de la course, nous sommes allés, avec mon père, récupérer mon dossard à l'aire de départ et d'arrivée de la Traka à Gérone. L'occasion de croiser et de discuter avec Jean-Yves et son ami Jean-Christophe.
Jean-Yves, qui connaît bien la région, m'a prévenu du terrain qui risque d'être bien usant entre grandes flaques d'eau, boue et graviers très collants... Ce qui risque de rendre les moyennes peu élevées.
Il m'a aussi prévenu du vent du sud qui risque de rendre la course difficile sur la partie plane entre le km 170 et le km 260. En effet, nous l'aurons plein face, ce qui veut dire qu'il sera important de ne pas être esseulé à ce moment de la course.
Grâce à ces précieux conseils, je repars avec d'autres clés qui me permettent de compléter ma stratégie et d'ajouter encore un petit peu de confiance pour la journée du lendemain.
Après avoir terminé ma journée de "Carb Loading" (fait de manger en grande majorité des glucides dans la journée afin de garantir un bon stock de glycogène), c'est bientôt l'heure de se coucher, il est un peu plus de 20h et c'est la dernière grande étape de préparation avant la course.
Jour J - Avant course
Réveil à 5h20 du matin, je n'ai même pas eu besoin du réveil. Je me sens plutôt bien, pas de mal à me réveiller, c'est plutôt bon signe. Je mange mon bol de riz, et en route pour 22 min de route jusqu'à l'aire de départ à Gérone.
Le ciel est bleu mais il fait très froid ce matin, environ 2 °C selon mon Garmin. Mais bon... Nous sommes obligés de nous habiller en cuissard court car ils prévoyaient jusqu'à 29 °C l'après-midi. Je garde cependant mes manchettes et mon coupe-vent, que je me débarrasserai au premier ravitaillement.
Il fallait arriver tôt sur la ligne de départ pour pouvoir espérer ne pas partir trop loin, car nous arrivions directement dans une bosse. Je me positionne environ à la 3e ligne en arrivant à 6h30, ce qui n'est pas mal car je sais que je vais pouvoir remonter à l'avant du peloton facilement grâce à mon expérience en Elite sur route.
7h00 - Top départ
Dès le départ, je fais l'effort de remonter à l'avant de la course dans la partie urbaine car je sais que, après avoir passé cette première partie montante, j'aurai passé le plus dur. Donc, autant rester très bien placé afin de me laisser le luxe de redescendre si cela va trop vite pour moi.
Au final, j'arrive aisément à me placer parmi les 15 premiers et surtout à y rester sur l'ensemble de la montée effectuée à plus de 28 km/h de moyenne avant d'entamer la descente particulièrement technique. Je me fais un peu bousculer à l'amorce de la descente mais j'arrive en bas dans le groupe de tête, parfaitement placé et sans encombre.
8h40 - Les attaques incessantes
J'avais le souvenir de l'année passée, où, après la dernière montée et jusqu'au premier ravitaillement, nous étions dans un rythme endurance avec seulement quelques petites accélérations.
Cette année, j'ai senti que le niveau avait grimpé d'un cran et que les plus forts voulaient la bataille dès le départ. Dans ces conditions, je n'étais pas tellement à l'aise et les accélérations incessantes des champions ne m'arrangeaient pas.
Alors, j'espérais que notre groupe d'une trentaine de coureurs se disloquerait et que les coureurs souhaitant se faire la guerre partiraient pour de bon. En effet, pour ma part, je préférais un scénario où les premiers se fatigueraient avec un rythme irrégulier tandis que nous (mon groupe), roulions à un tempo pour aller le plus vite possible en limitant la fatigue.
C'est ce qui s'est passé, plus ou moins au km 50, quand les plus costauds ont durci le rythme dans notre groupe. Sauf qu'une dizaine de kilomètres plus loin, nous les avions déjà repris.
Cela s'est déroulé ainsi jusqu'au ravitaillement 1 à Capmany.
10h35 - Capmany KM110
J'arrive au ravitaillement n°1 après 110 km, au sein du groupe de tête, et je m'apprête à retrouver mon père à qui j'ai confié la responsabilité de mon ravitaillement en eau et en nourriture ainsi que la lubrification de ma chaîne.
Je pensais avoir été suffisamment malin pour sortir rapidement de ce ravito, ayant tout préparé à l'avance. Mais contre toute attente, je suis finalement parmi les derniers à repartir, me retrouvant distancé du groupe de tête !
En réalité, j'ai mis 1 minute et 10 secondes pour me ravitailler, tandis que les plus rapides n'ont mis que 15 à 30 secondes.
C'est à ce moment-là que j'ai pris conscience de l'importance cruciale des ravitaillements, à l'instar d'une course d'ultra-trail où chaque seconde compte et où les arrêts sont minutieusement planifiés.
Les membres du staff des équipes présentes m'ont également fait penser aux "pit-stops" en Formule 1, nettoyant et lubrifiant les vélos en quelques secondes avant de laisser repartir leurs coureurs pour près de 10 heures d'efforts supplémentaires.
12h00 - Mas Patiràs
Après le ravitaillement, je savais que nous allions entamer la partie difficile, "The Real Traka", de ce parcours. C'est pour cela que je ne me suis pas affolé au ravitaillement, car je pensais que tout allait exploser dans cette partie.
C'est ce qui s'est plus ou moins passé. Je récupère les coureurs épuisés dans ces enchaînements de montées, dont Robin Gemperle, un de mes principaux adversaires de The Traka 560K. Je lui glisse un petit mot d'encouragement et repars de plus belle dans ma chasse.
Je remonte, je remonte, et vois même au loin Diederik Deelen, le 3e de l'année passée, avant d'entamer une nouvelle descente. Je me dis que je ne suis pas si mal placé mais, soudain, ma chaîne saute pour la deuxième fois déjà, et je l'emmêle. Il m'aura fallu 2 minutes pour tout remettre en ordre et, entretemps, de nombreux concurrents m'ont dépassé, comme Peter Stetina ou Rob Britton (qui finiront 1er et 2e de la course), mais il était trop tard pour prendre leur roue. Me voilà désormais seul.
12h26 - Hike a bike
J'avais lu sur le profil de la course qu'il y avait un "Hike a bike" (randonnée à vélo), et bien, alors que je pensais en avoir fini avec la partie "Real Traka", me voici au pied de ce portage.
300 mètres à 27% avalés en 6 minutes. Mes mollets s'en souviennent encore !
Cette montée me permet de rejoindre le concurrent qui me précédait et de le dépasser aussitôt avant de basculer vers la descente et le ravitaillement où je prends soin de remettre de l'eau dans mes deux bidons.
En effet, le prochain ravitaillement se trouve à plus de 95 kilomètres d'ici, donc il est impossible pour moi de faire 3h de course sans les remplir, sachant que le thermomètre indique maintenant 29 °C.
La seule chose qui me chagrine à ce moment-là, c'est que je me retrouve seul à l'entame de cette partie plate. Bien que les conseils de Jean-Yves me restent bien en tête.
Pas le choix : il faut faire l'effort pour rejoindre au plus vite un groupe. Me voilà lancé dans un effort solitaire de 13 kilomètres à la poursuite de quelques concurrents que j'aperçois au loin. Ils sont 5, et après 26 minutes à 30,5 km/h, je les rejoins enfin.
Me voilà soulagé, même si je sens que le groupe n'est pas très dynamique et que j'aurais été capable d'en remettre une couche, je garde à l'esprit ce que m'a dit Jean-Yves : Il y aura de quoi faire la différence après cette partie, il ne faut pas s'inquiéter.
13h04 - Formation d'un groupe
Nous sommes, à la faveur d'une erreur de parcours, rapidement rejoints par trois autres coureurs, dont Tobias Kongstad, 2e de la dernière édition de The Traka 360.
Le Danois fait vraiment figure de locomotive dans notre groupe et on se demande ce qu'il fait avec nous. En réalité, il a été victime d'un ennui mécanique plus tôt dans la course et est actuellement en pleine remontée.
Grâce à lui, nous avons repris une bonne dynamique, mais je sens, en même temps, une baisse d'énergie suite à mon effort. D'autant plus que je remarque que je n'arrive pas à m'alimenter comme je le voudrais ; je peine à manger mes pâtes de fruits.
Je pense finalement que ces pâtes de fruits étaient une erreur. Rien ne remplace une alimentation spécifique pour les courses, comme les gels ou autres. Mais cela demande un budget non négligeable, et à l'entraînement, les pâtes de fruits faisaient l'affaire, donc je ne me suis pas posé la question d'en acheter.
Il faut faire avec ; je sens, en plus, que cette partie plate devient vraiment longue et me tape sur le système. J'en ai marre, je veux voir du relief !
Mais c'est surtout en regardant les kilomètres défiler lentement sur mon compteur que je sens que je souffre nerveusement.
C'est dur, mais je m'accroche en gardant en ligne de mire le ravitaillement 2 à Casavells.
14h50 - Explosion
Alors que nous nous approchons tout doucement du ravito numéro 2, les nombreuses relances pour traverser le "Riu Ter" provoquent des cassures dans le groupe. Restant vigilant, je prends la roue de Tobias et nous nous échappons à deux avant d'être rejoints par Chris Braque.
Nous enclenchons la seconde, roulant durant 10 kilomètres à plus de 33 km/h alors que nous avons dépassé les 220 kilomètres et nous reprenons Mikey Mottram.
Je sens que je suis en sursis, et lorsque quelques pourcentages plus élevés arrivent, j'explose ; je n'ai plus de force.
J'arrive au ravitaillement numéro 2, tant bien que mal, et retrouve mon père.
"Je suis cuit, je ne sais pas comment je vais finir."
Je prends le temps de bien me ravitailler, de me laver le visage, de prendre le Garmin de mon père car le mien n'avait plus de batterie et finalement de boire cette canette de Coca.
16h00 - La dernière longue montée
Je repars du ravitaillement en ayant le sentiment que cela va être difficile pour moi, que je risque de dégringoler dans le classement et de finir déçu.
Je me fais doubler une première fois par un duo dont je n'arrive pas à prendre la roue. Puis j'entame la longue montée de 7,5 km à une vitesse ridicule. Je me sens sans force, mais je continue à pousser.
Et au fur et à mesure de la montée, je sens que cela revient ; je ressens un regain d'énergie inespéré. C'est incroyable, je vois même que je rattrape un des gars qui m'a doublé il y a une dizaine de minutes.
Je continue à pousser et ce n'est pas une, mais trois personnes que je dépasse avant de basculer vers la descente et le troisième ravitaillement. L'espoir renaît, et je sens que je vais finir cette épreuve mieux que ce que je ne le croyais !
17h10 - Dernier ravitaillement
Je retrouve mon père au dernier ravitaillement de la journée. Il me remet deux bidons et un dernier coup d'huile tandis que je bois ce coca qui m'a tant fait de bien 1h30 auparavant.
Mon père a été formidable sur cette épreuve, quelle chance j'ai eue de l'avoir ! Il a très clairement joué un grand rôle dans ma belle performance.
Il ne reste plus que 60 kilomètres lorsque je ressors de "La Pineda Fosca" et je me fais rapidement rattraper par un duo de coureurs, dont Chris avec qui j'ai passé une bonne partie de la course.
Nous roulons bien tous les trois, nous retrouvons même Mattia De Marchi, le vainqueur sortant, assis le long de la route. Je pense qu'il a chuté, je lui demande si tout va bien, il a des personnes près de lui.
Nous arrivons au pied des dernières montées de la journée, et je sens que je suis le plus fort des trois. Chris n'arrive plus à grimper et le collègue espagnol, lui, a un saut de chaîne.
Je choisis de continuer sur mon rythme sans trop accélérer pour ne pas qu'ils croient que je les attaque. Il n'y a finalement que Alejandro qui revient sur moi dans la descente mais surprise... Il ne veut plus rouler avec moi alors qu'il reste plus de 20 kilomètres à faire !
19h25 - Arrivée
Puisqu'il ne veut plus rouler avec moi, je décide que je ne vais pas trop en faire. Grâce à cela, Chris revient sur nous à 10 km de l'arrivée et commence à m'attaquer.
Heureusement, il était épuisé, et il était assez facile pour moi de revenir dessus, mais je décide à mon tour de ne plus rouler et d'attendre le petit pétard emblématique du final de la Traka pour placer mon accélération.
Lors de mon accélération, il n'y a que Alejandro, l'Espagnol, qui parvient à me suivre. Je décide donc de continuer sur ce rythme afin que Chris ne revienne pas définitivement, et de tenter de lâcher Alejandro dans les parties techniques à la faveur de mes relances.
J'y parviens, jusqu'à obtenir une bonne dizaine de secondes d'avance sur lui, mais à 2 km de l'arrivée, j'ai de nouveau un saut de chaîne !
Non... Il me repasse devant et au dernier kilomètre, je me retrouve dans sa roue, pour jouer la 14e place au sprint. Il lance le sprint, se rassoit, j'entame le dernier virage en tête et il me bat sur la ligne. Ahhhhh!
Conclusion :
Au final, je n'en ai pas voulu à Alejandro, c'est le jeu ! Et puis... 14e ou 15e, il n'y a pas de grande différence.
Par contre, la différence entre la 15e place et la 8e est grande alors que l'écart est si faible ! Seulement 7 minutes nous séparent.
Ce n'est pas grave, cela me donne encore plus de motivation pour progresser la prochaine fois, car la marge de progression est belle. J'en retire qu'il faudra améliorer :
Mon équipement : Même si pour moi l'acier représente un confort non négligeable en ultra, mon vélo était typé plutôt longue distance comme il était prévu sur le 560km.
Sur des courses ultra-rapides comme celles-ci, avoir un vélo plus léger et plus nerveux aurait été un plus.
Mes ravitaillements : J'ai eu tendance à trop prendre mon temps et à laisser filer des opportunités de groupe trop facilement, avec le risque de me retrouver tout seul.
Mes ennuis mécaniques : J'ai eu beaucoup de sauts de chaîne qui m'ont fait perdre un temps précieux. Investir dans un guide chaîne serait intéressant.
Ma nutrition : Mes pâtes de fruits m'ont très vite lassé et il a été difficile pour moi d'en manger autant que j'en aurais voulu. Préparer des boissons glucidiques aurait été également judicieux.
Mon mental : J'ai eu plusieurs fois des moments où la nervosité a pris le dessus sur mon moral, ce qui a contribué, je pense, à ma petite explosion. De plus, avec mon accélération dans les 5 derniers kilomètres, j'ai réalisé que j'avais encore du jus et que j'aurais peut-être pu rouler plus vite dans la dernière partie de l'épreuve et peut-être revenir dans le top 10 en croyant encore plus en moi.
Je reste très heureux de ma performance et de mon état d'esprit après cette annulation et cette désillusion. Cela restera comme une expérience particulièrement enrichissante qui me démontre que je suis capable de rouler vite et longtemps.
C'est important de se rendre compte de ces choses sur le terrain car cela permet de prendre confiance et de lever des blocages mentaux en termes de gestion sur de plus longues distances.
Avant de me retester, je retourne au travail, car les prochaines courses arrivent avec Nature is Bike 300K, l'Étape du Tour et, enfin, la Transcontinentale Race !